« La Nuit Française » , c’est un petit clin d’œil à François Truffaut, l’un de nos plus grands cinéastes, ce créateur d’image pour qui la musique tenait une place importante dans ses films.
Source de rêveries; du repos du corps ou encore berceau de tous nos mythes fondateurs ou cauchemardesques, La nuit à inspiré de nombreux compositeurs de toutes les périodes de l’histoire de la musique.
Le sujet est mondial, fascinant et presque inépuisable . Il m’a donc fallu faire un choix. Plutôt que d’essayer de composer un programme de toutes les époques ou international, j’ai préféré me concentrer sur le post romantisme en France .
La langue française est connue pour sa richesse en qualificatifs. J'ai pensé que c’était la langue idéale pour décrire la nuit dans tous ses états et que cette époque, post romantique, plus propice encore à l’illustrer en musique.
Voici nos compositeurs: Charles Gounod, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Guy Ropartz et Lili Boulanger.
Ils ont tous en commun d’être nés avant le début du 20e siècle. Et à part Gounod sont morts après.
Mais…
En 1893 Gounod est célébré lors de ses funérailles par Gabriel Fauré (à la tête de la chorale) et Camille Saint-Saëns à l’orgue ce qui me permet de le raccrocher aux autres. Et puis Gounod enseigna Saint Saëns qui enseigna Fauré qui fut, comme directeur du conservatoire de Paris de 1905 à 1920, le père spirituel d’une génération de compositeur.
La nuit de Gounod écrite pour six voix mixtes, ténor solo et piano est surprenante par son chromatisme et ses changements d’atmosphères très théâtraux, dignes de ce compositeur d’opéra. Le texte très bucolique décrit un paysage campagnard où la lune et les étoiles se reflètent dans l’eau.
Nuits d’étoiles. Cette très jolie mélodie de jeunesse de Debussy est loin des harmonies du Prélude à l’après midi d’un faune ou de Pelléas. Les arpèges du piano représentent un ciel nocturne miroitant d’étoiles lointaines, symbole des amours passées auxquelles on pense de temps en temps tel un clignotement de la mémoire. Mélodie initialement à une voix composée pour la maîtresse de Debussy ce « Nuit d’étoiles » est transcrit pour trois voix de femmes et piano.
En tant que nantais d’origine et breton ( donc !), difficile de passer à côté de Guy Ropartz (1864 1955) Il traverse presque 100 ans d’histoire de la musique et à ce titre survole et réunis tous les autres musiciens du programme . Initialement écrit pour chœur et orchestre, son « Nocturne » est l’illustration de ses trois sources d’inspirations favorites: la Bretagne , la mer et Dieu. Son style musical tire vers la modalité des mélodies bretonnes. Imaginez une plage entre Penmarc’h et Saint Guénolé fin septembre par un temps « après la pluie » à marée basse, un coucher de soleil avec des nuages et bien sûr du vent pour faire bouger les nuages et la lumière. Nous y sommes! : « Ô suave sérénité », « instant divin » …. « Et la Grande voix de la mer se fait plus douce »…..
Revenons à Debussy . Inspiré du célèbre prélude de la suite Bergamasque, « Clair de lune » , romance nocturne sans parole, est une transcription de Bill Connor que je remercie de m’avoir envoyé sa transcription. Il est resté fidèle à l’esprit de l’œuvre et sa palette de couleurs si riche . Il mélange les registres graves et aiguës des chanteurs comme le chaud et le froid ou la nuit et les étoiles.
Extrait des Fêtes Galantes I, un autre Clair de Lune mélodie sur un texte de Paul Verlaine. Ce poète est lié indirectement à Debussy dont le père fut emprisonné dans les prisons communardes. Durant les quatre années de son incarcération il se lie d’amitié avec Charles de Sivry musicien autodidacte et beau-frère de Verlaine, qui de ce fait fut le premier pédagogue de Claude Achille Debussy.
Rendons hommage maintenant à Lili Boulanger avec Soir sur la plaine et Les Sirènes. Décédée à l’âge de 24 ans on peut aisément imaginer, si elle avait vécu plus longtemps qu’elle aurait orchestré ces pièces.
Cette jeune compositrice, presque aussi prolifique que Mozart ou Schubert mais avec une vie de onze ans plus courte , m’a séduit par la luminosité de ses harmonies irisées telle une aurore boréale .
Soir sur la plaine sur un poème d’Albert Samain, décrit un crépuscule ou le soleil descend et la nuit « verse sa cendre fine » et où « le ciel enténébré rejoint la plaine immense » cette œuvre composée pour 12 voix mixtes et trois solistes est une véritable cathédrale sonore, aussi exceptionnelle de beauté et de mysticisme que de difficulté.
Les Sirènes : La question est de savoir si les sirènes sont diurnes ou nocturnes J’ai le souvenir d’un film retraçant l’Odyssée d’Ulysse avec Kirk Douglas où la scène des sirènes était filmée dans une pénombre nocturne.-. Souvenir d’enfance erroné ou réalité?
Il est clair que les sirènes nourrissent les rêvent ou les cauchemars des plus grands de ce monde qu’ils soient de gloire ou de pouvoir.
Le résultat est souvent crépusculaire pour l’humanité… Alors laissons les Sirènes dans nos rêves nocturnes. Et apprécions la musique si envoûtante de cette œuvre écrite pour 5 voix de femmes et une voix d’homme, réparties en deux chœurs avec une partie de piano redoutable, écrite sur trois portées.
Telles de grandes cathédrales, ces œuvres me font penser par leurs structures aux grandes architectures de J.S. Bach, telle la passion selon Saint Matthieu.
« Le jour m’étonne et la nuit me fait peur« . Extrait de ce sublime recueil qu’est Figure humaine sur un texte de Paul Eluard. Poulenc écrit cette Œuvre pendant l’occupation en 1943 « en secret ». Elle fut créée dès la libération.
Le texte de ce numéro exprime l’angoisse de l’homme face à la vie. Vie/Nuit les deux mots riment et se répondent. La nuit fait partie de la vie mais c’est aussi la fin de celle-ci. Dans cette pièce la pulsation doit être immuable et régulière telle une goutte d’eau tombant régulièrement sur le sol : le temps qui passe inéluctablement et l’impuissance comme celle de certains rêves où l’on voudrait crier sans que rien ne sorte…
Partons maintenant du côté du cimetière où « la mort à minuit » décide de réveiller les morts le temps d’une nuit… Vous connaissez sûrement plus la Danse Macabre dans sa version orchestre que la mélodie pour voix et piano. Amaury Lacaille s’est inspiré des deux œuvres pour nous faire cette transcription très réussie, pour quatre solistes, chœur mixte et piano avec quelques mesures de violon en sus . Pleine d’humour et de grincement d’os, cette adaptation, création mondiale pour La Folle Journée, nous fera voir la mort et la nuit sous un autre jour!
Toujours pour illustrer le côté fantasmagorique de la nuit, voici les Djinns de Gabriel Fauré, qui nous dévoile ici son admiration pour Wagner . J’ai toujours trouvé remarquable chez Fauré l’évolution de son style tout au long de sa vie. Les Djinns sont à ce titre unique dans l’œuvre du compositeur. Sur le poème (presque intégral) de Victor Hugo, cette œuvre décrit ces êtres maléfiques venus d’orient servir les forces du mal. Partie de piano virtuose, parties vocales opératiques, les Djinns sont un petit bijou de musique, qui commence par presque rien et finit par rien ou presque…
Et pour refermer la page de la nuit française voici un très bel arrangement de la célèbre mélodie de Fauré « Après un rêve » l’arrangement de Denis Rouger renforce les couleurs que Fauré avait écrite pour piano et nous apporte grâce aux 5 voix mixtes une palette de couleurs harmonique et émotionnelle encore plus riche . « Splendeurs inconnues, lueurs divines entrevues »…. Hélas….Voici la fin de notre programme.
Allez en bis, nous avons peut-être un Saint Saëns sous le coude…
Surprise;-)